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Matéo Benoist-Fritsch

Interview Christophe Lemaitre : L'éternel retour

Dernière mise à jour : 8 févr. 2022

PARTIE 2 : Extra-sportif, fédération et dopage


L'heure de la reprise a sonné pour Christophe Lemaitre (crédit photo : Matéo Benoist-Fritsch)

Christophe Lemaitre a marqué son sport. Durant toute sa carrière, il a dû et il devra encore recevoir les éloges de certains, faire face aux critiques et probablement répondre aux attentes des médias. Nous allons revenir sur certains aspects extra-sportifs de sa carrière, qui ont marqué et qui marquent encore le paysage de l'athlétisme français et international.


Propos recueillis par Matéo Benoist-Fritsch



"Oui je suis doué dans ce que je fais mais pour moi les surdoués sont au top niveau mondial."


Entre 2013 et 2015, lorsque vos résultats étaient moins bons, il y a eu comme un effet médiatique autour de vous et de votre entourage. C'était comme s'il fallait absolument critiquer vos conditions d'entraînement et votre entraîneur de toujours Pierre Carraz. Quelles ont été vos réactions vis-à-vis de ces critiques ?

« Je l''avais déjà entendu, du moins vu, car on ne m'a jamais vraiment rien dit en face. C'était vraiment sur internet et les réseaux sociaux. Je n'ai jamais remis en cause les méthodes d'entraînement de Pierrot. Malgré son grand âge ce n'est pas quelqu'un qui reste dans ses méthodes d'antan (rires). Il a toujours essayé de réfléchir, de se renouveler, dans le but de mieux comprendre comment on pouvait s'améliorer. On sait très bien que les années où je n'ai pas été présent, c'était plutôt dû à des blessures. Alors on s'est également posé la question : "pourquoi je me blesse autant ?" On se demandait si on avait pas manqué ou fait quelque chose en trop. Je savais que je pouvais toujours avoir confiance en Pierrot. C'est quelqu'un de passionné qui s'intéresse énormément à son sport, même en dehors de la France. Il me sort toujours des anecdotes au sujet de tel ou tel athlète qui réalisait telle ou telle performance selon ses méthodes d'entraînement. »


Vous ne regrettez donc pas de l'avoir eu comme entraîneur ?


« Non, j'ai eu la chance de tomber sur quelqu'un comme Pierre dès le début car il avait de l'expérience, il avait l’œil et il savait former les athlètes. Tout ce que j'ai accompli jusqu'à maintenant c'est grâce à lui. Après, je crois avoir entendu dire que si j'étais tombé avec n'importe quel entraîneur, j'aurais eu les mêmes résultats. Mais je ne pense pas, car comme j'ai dit, après, il y a les méthodes d’entraînement et la façon de connaître l'athlète que l'on encadre. »


C'est lui qui, sur le tard, vous a lancé dans ce sport. Il est celui qui vous avait qualifié, à vos débuts, de « surdoué » de l'athlétisme. Vous en êtes un ?


« Doué oui, après surdoué peut-être pas. Pour moi des surdoués ce sont des Bolt, des Noah Lyles peut-être maintenant, Andre de Grasse, etc. Oui je suis doué dans ce que je fais mais pour moi les surdoués sont au top niveau mondial. Ils ont fait des records de chronos beaucoup plus élevés que le mien. De toute façon le sport, on le sait, est un domaine assez inégalitaire. Le travail est une chose, mais c'est le talent qui fait que certains sont plus forts que d'autres. Après, c'est comment on gère ce talent là, comment on le façonne. Tu peux être un bourreau de travail, malheureusement, si tu n'as pas le talent, tu seras forcément limité, c'est triste mais c'est le sport. »

Christophe Lemaitre avec l'équipe de France de relais aux mondiaux de Londres en 2017 (crédit photo : L’Équipe)


« Je m'entends très bien avec beaucoup d'athlètes de l’équipe de France. »


L'équipe de France de relais semble vraiment faire partie de vos priorités. On entend souvent parler de l'entente entre les joueurs d'une même équipe dans un sport collectif. Mais on en sait moins sur les relations entre les athlètes d'une même sélection dans un sport individuel. Quels sont vos liens avec vos coéquipiers en relais ?


« Je m'entends très bien avec beaucoup d'athlètes de l’équipe de France au sein du relais. Bien sûr, nous sommes adversaires sur la piste, mais je trouve qu'il y a une très bonne ambiance quand on s'entraîne ensemble. C'est sûr que chaque athlète veut avoir sa place, être titulaire, mais quand on fait les stages, il n'y a pas vraiment d'ego surdimensionné par rapport aux autres et tout le monde arrive à travailler ensemble pour le projet relais. C'est le plus important pour aller de l'avant tous ensemble. »

A titre individuel, vous êtes toujours resté proche de votre club d'Aix-les-Bains. En octobre dernier vous étiez à Blois pour les championnats de France de relais, vous avez ramené deux médailles. C'est important pour vous de rester au contact de votre club ?

« C'est extrêmement important pour l'histoire du club. Pendant plusieurs années d'affilée, on était meilleur bilan des clubs aux 4x100 et 4x200 mètres. On a été plusieurs fois champions de France d'affilée. Il faut dire que le relais c'est du sprint pur et c'est un excellent entraînement spécifique au sprint. Courir avec les gars du club, c'est un moyen pour moi de rester au contact du relais pour l’équipe de France, travailler les bases, la réception, l'anticipation... »


« J'ai vu un peu la Fédération se dégrader au fil du temps. »


Récemment, Renaud Lavillenie a pris la parole au sujet de la Fédération française d'athlétisme. Dans les colonnes de L’Équipe, on a pu lire son mécontentement et ses critiques envers l'instance qui gère l'athlétisme à l'échelle nationale. Elle semble un peu en perdition à deux ans et demi des Jeux. Quel regard vous portez sur cette situation ?


« C'est sûr que j'ai vu un peu la Fédération se dégrader au fil du temps. Comme j'ai dit, il y a un manque de contact humain, la preuve, j'en ai subi les conséquences (non-sélection aux JO de Tokyo). Il y a de vrais manques de communication entre les athlètes et le staff de la Fédé. On a l'impression que ce n'est plus aussi ordonné et stable qu'avant. C'est vrai que c'est alarmant car à moins de trois ans des Jeux, on n'a rien fait en termes de performances. Pour le moment, on ne voit pas s'ils ont pensé à quelque chose pour rectifier la situation pour 2024. Je pense que beaucoup d'athlètes internationaux ont peur d'être livrés à eux mêmes. On espère qu'on n'ira pas jusque là, mais pour le moment, on n'a pas de signes positifs. »

Est-ce pour cela que certains décident d'aller s'entraîner ailleurs, aux États-Unis par exemple ?

« Depuis des décennies, dans tous les sports, beaucoup d'athlètes s'en vont aux USA pour essayer autre chose. Ils peuvent y aller pour leurs études aussi, car en France, parfois, c'est difficile de concilier les deux. Là-bas, il y a une meilleure concurrence, des méthodes d’entraînement différentes. Après, si certains athlètes me disent qu'ils sont partis aux USA parce qu'ils ne sentent pas le soutien de la Fédé, je pourrais les comprendre. »



Christophe Lemaitre sous les couleurs de son club d'Aix les Bains (crédit photo : La Nouvelle République)

« Tant que l'on aura pas resserré la vis sur les pays où il n'y a pas ou trop peu de contrôles, [...] je pense que ça perdurera. »


J'aimerais aborder un thème sur lequel on ne vous a que très rarement entendu. Si je vous dis Ben Johnson, affaire Balco, Justin Gatlin, Florence Griffith-Joyner, que vous évoque ces affaires de dopage ?


« (Longue inspiration) C'est quelque chose de triste, on sait que c'est très présent y compris dans l'athlétisme. Il y a beaucoup d'athlètes qui ont vu leur médaille volée par des dopés et qui l'ont récupérée après, mais presque trop tard. Il n'avaient plus la notoriété, les sponsors ou les médias qui auraient pu mettre leurs performances en valeur. Même moi je l'ai subi, car j'ai récupéré la médaille au 4x100 mètres suite au déclassement des Américains pour dopage en 2012 (aux JO de Londres, les USA terminent deuxièmes du relais. Mais Tyson Gay est disqualifié pour dopage en 2015. Trinité-et-Tobago récupère l'argent et la France le bronze).


Le problème c'est qu'il y aura toujours du dopage, c'est systématiquement en avance sur les détections. Quand on trouve un moyen de détecter une substance, une autre sur le marché est déjà plus évoluée et passe entre les mailles du filet. Il y a aussi des pays moins contrôlés que d'autres (affaire Lamine Diack et le dopage russe). Donc, tant que l'on n'aura pas resserré la vis sur les pays où il n'y a pas ou trop peu de contrôles, tant que l'on n'aura pas mis des sanctions beaucoup plus lourdes sur les athlètes pris pour dopage, je pense qu'il perdurera.


Mais dans tous les cas, il faut se concentrer sur soi-même car c'est déjà difficile de s'entraîner et d'être prêt le jour J. On a déjà suffisamment de problèmes entre les blessures, la fatigue, les compétitions et encore plein de facteurs. De toute façon, on n'est pas flic, on est juste athlète. Alors on espère simplement que le système fera son travail et qu'on lui donnera les moyens de le faire, en comptant sur la propreté de ceux qui nous ont battus. »



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